Avant ma venue, ils vivaient dans le noir. Cétait un pays sombre, couvert de nuages lents volant en rase-mottes sous un soleil mourant. Un ignorant leut pris pour une lune fatiguée. Lherbe brune en buvait toute la lumière froide, et la restituait en sous-sol, où des démons étiques laspiraient goulûment. Les habitants passaient peu de temps hors de leurs murs. Ils navaient que quelques heures, durant lesquelles les chasseurs chassaient et les amants saimaient. Les parents les mettaient à profit pour apprendre à leurs enfants le nom des choses. Mais quand tombait le couperet du soir, tout devenait flou, tout retournait à létat amorphe, tout se condensait en un chewing-gum de vie pâteuse. Les gens cessaient dêtre des personnes. Ils perdaient leurs noms. Leurs seuls guides, dans le noir absolu, étaient ces contes dun temps lumineux, quils se racontaient les uns aux autres, narrateurs et public indistinct. Parfois, des quiproquos engendrés par la confusion de leurs identités naissaient de nouvelles histoires, plus légères.
Ils nétaient pas difficiles à vivre. Le voyageur arrivant à midi était accueilli avec maintes démonstrations de joie et dhospitalité : cette heure du jour était celle des heureux présages. Parce quils chérissaient la lumière qui leur était accordée, la moindre seconde de leur crépuscule était prétexte à célébrations. Les chasseurs chassaient en chantant ce qui expliquait la rareté de la viande. Les amants saimaient en cadence les endroits discrets létaient finalement peu. Et nulle part au monde vous nauriez pu trouver de parents aussi attentionnés, et denfants aussi attentifs. La journée sécoulait en un torrent tumultueux de chansons, de cris et de rires bruyants. Puis lobscurité sinstallait, et cen était fini.
Jentends votre étonnement : et le feu ? Car ils le connaissaient ! Ils cuisaient leurs aliments, chauffaient leurs maisons, brûlaient leurs ordures, et se brûlaient eux-mêmes, par manque dhabitude. Mais quand lombre arrivait, ils éteignaient leurs feux lun après lautre, sans regret apparent, avec la rigueur résignée de leur propre soleil partant se cacher par-delà les montagnes. Ils me disaient, Mais qui sommes-nous pour éclairer nos maisons quand le soleil lui-même préfère lobscurité ? Il y a une sombre beauté dans la logique humaine. Il était honorable de participer par le feu à la lumière du jour, mais combattre lombre était contre nature. Mais, quelque intelligibles que fussent ces raisons, elles ne faisaient que rendre leurs vies misérables, selon les standards de lhumanité. Les représentants de commerce saventuraient rarement sur leurs terres, car même les plus rapaces dentre nous aiment passer leurs nuits en des lieux chaleureux.
Jétais un représentant, et des plus rapaces. Jétais curieux, aussi. Pendant des années, jécoutai sans mot dire ce qui se racontait sur ces gens, récits à moitié fantastiques, histoires de seconde main. Un jour, je décidai dy aller. Jachetai quatre mules et un chariot bâché. Jachetai un générateur de courant. Jachetai quelques babioles électriques. Quelle que fut la religion de ces gens, elle ne prévoyait certainement rien concernant