Oyonale entra dans l'eau avec précaution. Il ne s'agissait
pas de gâcher ce moment, le plus important de son existence, avec la naissance
de son premier veau. L'eau était froide, mais supportable. Elle fit signe aux autres de
venir. A leur tour, les trois rescapées de l'expédition prirent contact avec l'élément liquide. Voisine battit un peu des pattes, éclaboussant
Grimbêche, qui poussa Tuyautée. Une envie de folâtrer prit soudain le trio de primipares. Oyonale les rappela à l'ordre. Ayons une
pensée pour Sublime, leur dit-elle. Sublime était morte en
chemin, heurtée de plein fouet sur la départementale par un frigorifique de la
coopérative. Oyonale laissa passer une minute de silence, puis reprit sans mot dire sa
marche dans les vagues. Elle était terrifiée par l'immensité de la
mer, elle dont l'horizon n'avait jamais dépassé la haie la
plus proche. Elle continua à avancer, jusqu'à sentir le sable rouler sous ses sabots.
Elle perdit pied, et se mit à nager, sa large masse lui assurant
une flottaison parfaite, comme leur avait assuré Sublime, qui avait beaucoup lu. Elle jeta un coup d'oeil
en arrière et vit ses cadettes au bord de la plage, sautillant dans l'eau, excitées
comme des génisses. Oyonale nageait bien, maintenant, c'était facile. Soudain, alors
qu'elle croyait avoir maîtrisé le principe, une force dont elle ignorait tout la
renversa sur le flanc. Elle paniqua, avala une ou deux longues gorgées d'eau salée, et
ne rouvrit les yeux que pour voir le long fuselage argenté d'un
dauphin s'élever dans les airs, bien au-dessus d'elle, pour retomber
avec grâce, provoquant un second cataclysme, qui lui fit reboire la tasse. Et devant les primipares, en plus, quel exemple,
pensa-t-elle. Ayant repris son équilibre, elle revint doucement
vers le rivage où l'attendaient Grimbêche, Tuyautée et
Voisine, couvertes de sable, alanguies sur la grève, avec sous
leurs long cils un respect teinté de