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En ce dernier jour de sa vie, qui tombe le 33 de ce mois, Germain Landfelder se réveille à 8h09mn du matin. Aujourdhui, se dit-il, ma mort fera la une des journaux. Ne nous inquiétons pas. Si Germain Landfelder devait effectivement abandonner son enveloppe corporelle le 30 au soir, tout fabricant de destin sait parfaitement que ce type dévénement est très improbable dans le cas particulier de Germain Landfelder . Pour cette raison même, le temps sest arrêté depuis le 30, et ne reprendra sa course normale que lorsque laffaire sera résolue.
(Cette situation nécessite un minimum dexplications. En bref : il existe un petit livre bleu, où est consigné le destin de tout individu, mais le livre manque de précision à cause de personnes comme Germain Landfelder ou Z le Polymorphe , qui résistent à leur sort. Le fabricants de destin réécrivent sans arrêt le livre pour en tenir compte. Cela les rend affairés et alertes, et les oblige à tripatouiller lespace-temps, ce qui est une bonne chose, car sinon nos vies seraient profondément ennuyeuses.)
Cest ainsi que, alors même quil se brosse les dents en disant
- Bonjour !
à la cuvette des toilettes, Germain Landfelder emmagasine de la force mentale pour accomplir sa mission : il doit grimper au sommet du Chrysler Building et sauter par la fenêtre. Si tout se passe selon la théorie aérodynamique du Dr Pynchon, lair devrait saccumuler sous le corps de Germain Landfelder , par pur amour de lhumanité, jusquà former un coussin épais qui lempêchera de faire une bouillie sur le trottoir. Signalons que tous les volontaires du Dr Pynchon, à lexception de Germain Landfelder, gisent maintenant encastrés dans le béton, par suite de leur manque de foi dans la théorie, ou de leur mauvaise compréhension dicelle. Si Germain Landfelder réussit son saut (sot ? sceau ? seau ? S.O. ?), le Dr Pynchon pourra enfin obtenir le prix Nobel (le bon docteur ayant complètement raté sa carrière dimitateur de Céline Dion, le Nobel est la dernière chance qui lui reste pour être utile à quelque chose).
Cest une mocheté de jour pour mourir, cela dit. Non seulement il pleut depuis 73 heures daffilée (une petite douche dété commencée au mauvais moment), mais la ville sest arrêté de vivre. Plus personne ne bouge. Même les oiseaux ne peuvent échapper à la pluie : les pauvres choses ressemblent à des éponges à plumes. Puisque Germain Landfelder ne peut même pas prendre un taxi, le voilà contraint de marcher de son hôtel jusquau Chrysler Building, en sarrêtant à tous les feux, ce qui est heureux car ici on ne plaisante pas avec ceux qui traversent quand ils nont pas le droit. Heureusement, lascenseur fonctionne (les mécanismes périodiques sont autorisés à tourner pendant les arrêts de jeu), si bien que Germain Landfelder nest quà peine essoufflé quand il arrive au 89ème étage. Il y a des restes de ses prédécesseurs un peu partout : mégots, boîtes de soda, lettres dadieu, gants de base-ball, préservatifs non utilisés (ce qui est heureux car ici on ne plaisante pas avec le sexe hors mariage). La fenêtre est toujours ouverte. Germain Landfelder regarde en bas. Il voit les petites voitures au pied de la tour, est pris dun vertige, veut se rattraper au chambranle métallique, lequel est mouillé par la pluie, et hop, il rate son coup et bascule dans le vide sans le faire exprès.
A mi-chemin, il se réveille de son étourdissement et regarde sa montre. Les aiguilles sont toujours bloquées à 8h09mn. Qua donc dit le Dr Pynchon ? Oui, il faut quil se retourne sur le ventre, pour offrir plus de résistance à lair. Germain Landfelder obéit, sans noter damélioration. Les voitures grossissent, grossissent, il pourrait lire leurs plaques sil le voulait (il sen fout royalement, Germain Landfelder ne conduit pas). Où est ce *£%#&@$ de coussin, dit-il, je veux mon *£%#&@$ de coussin ! Il ne peut même pas sentendre crier, ce qui est heureux car ici on ne plaisante pas avec les gros mots.
A 4 yards, 3 pieds et 7 pouces du béton, Germain Landfelder arrête de choir. Parce quil se voit si proche du sol, il essaye in extremis de regagner sa position officielle et verticale, mais là encore il rate son coup et atterrit sur les mains, puis sur le nez. Le pif en sang, il se redresse, et regarde vers le haut. Un oiseau a repris son vol.
Et voilà, cest la fin de lhistoire. Quant à savoir si le Dr Pynchon a eu son prix Nobel, nous ne le dirons pas. Vous pouvez toujours chercher sur le Web.
Cher lecteur : tu peux cliquer ici pour de véritables histoires de Germain Landfelder , par François Dispot et al., mais attention, ces histoires sont