[Détail 1][Détail 2]

Après son décès, les choses ne se passèrent pas exactement comme prévu. Il vit bien une lumière brillante au bout d’un long tunnel, mais les voix qui l’appelaient n’étaient pas celles de parents disparus, pas plus qu’elles n’étaient angéliques au sens habituel du terme. Les coassements étaient bien reconnaissables, et ils l’accompagnèrent durant l’éternité que dura son ascension du tunnel. Il eut assez de temps pour y réfléchir, même s’il fut quand même surpris de se retrouver sur une scène, assis sur une chaise, vêtu d’un costume de plongeur devant une assemblée de grenouilles bondissantes. Cela doit être une sorte de procès, pensa-t-il. Il n’y avait aucune raison pour que toute sa mort se passât en un match d’improvisation avec des batraciens. Ou alors un employé avait commis quelque erreur de routage, comme on en raconte dans les films. Il espérait bien voir sa situation s’éclaircir d’ici peu. Cependant, tout en attendant la fin du tintamarre, et l’arrivée salvatrice d’un autorité porteuse d’ailes, il essayait de se rappeler toutes les occasions où il lui était arrivé de faire du mal à des grenouilles (au moins il n’était pas français, un bon point pour lui). Il y avait eu celle qu’on lui avait fait disséquer en classe de biologie – et comme il avait été dégoûté en ouvrant le ventre de cette pauvre chose gluante ! Il y avait eu celles qu’il avait certainement écrasées en voiture lors de vacances en pays humide – pas de sa faute, vraiment. Et le têtard vivant qu’on l’avait forcé à avaler lors d’un de ces rituels collectifs qui permettent aux jeunes gens d’exprimer leur sadisme sous couvert de normalité sociale. Mais c’était tout.

Il était devenu fort confiant dans son nouvel amour des grenouilles quand l’une d’entre elle se mit à parler. Ce n’était pas un coassement, seulement la belle voix de baryton d’un homme cultivé, et un silence respectueux tomba sur l’assemblée. La grenouille dit :

- Je crois, Monsieur, que vous feriez bien de vous mettre à chanter. Tout le monde ici vous attend.

Voilà qui était surprenant. Mais l’esprit de l’homme est ainsi fait : il s’adapte à tout. Et tout en cherchant frénétiquement dans les recoins de son cerveau une explication logique à tout cela, notre ami en profitait pour chercher une chanson adéquate. Les grenouilles chantaient, il s’en souvenait. Mais elles chantaient quoi ? Les premières notes